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Zelda, Princesse bibliophile

L'étrangleur de Cater Street

9 Juillet 2012, 13:08pm

Publié par Reika

L'étrangleur de Cater Street

  Je trouve que ça fait longtemps que je ne vous ai pas parlé de bouquins. Pourtant, j'en ai lu plusieurs récemment, et des biens d'ailleurs - et un très nul aussi, mais si je vous en parle ça va m'énerver, donc je préfère parler de ce qui est bien.

  J'aurais pu vous parler de Zelda, de Jacques Tournier, qui relate la relation tumultueuse de Zelda et Scott Fitzgerald à partir de leur correspondance, ou de Nous étions les hommes, de Gilles Legardinier, dans lequel Alzheimer menace de détruire l'humanité et qui trifouille plutôt agréablement dans les enjeux pas toujours très nets du milieu des brevets et de la propriété intellectuelle, parce que ce sont des livres intéressants chacun dans un style très différent, mais finalement j'ai opté pour le policier historique que j'ai dévoré au point de ne pas pouvoir aller me coucher avant de l'avoir terminé hier :

L'étrangleur de Cater Street, d'Anne Perry.

  Il paraît que c'est un classique du genre, mais moi, je l'ai découvert récemment, pendant mes cours de future bibliothécaire qui doit savoir ce qui plaît aux gens. En réalité, il s'agit de toute une série dont le personnage principal est un enquêteur : rien de très original dans le concept de base. On avait déjà Sherlock Holmes, Miss Marple, et Hercule Poirot, pourquoi ne pas rajouter le couple Pitt ?

  Vous me dites, si c'est un classique, pourquoi en parler ? Et moi je réponds : parce que souvent, les vieux classiques sont relégués aux étagères qui prennent la poussière. Mine de rien, ce livre a plus de trente ans : il a été publié en 1979, et malgré sa qualité (et apparemment sa renommée dans le genre), le lecteur lambda aura tendance à lui préférer l'attrait de la nouveauté. J'ai donc envie de le remettre en avant, parce que ce n'est pas parce qu'il vieillit qu'il est devenu moins bien.

  Il s'agit du premier volume de la série (je suis conventionnelle, j'aime bien commencer par le début), il met donc pas mal de temps à démarrer, histoire de bien mettre les choses en place. L'action prend place dans l'Angleterre du 19e siècle, et nous suivons la vie quotidienne d'une famille aisée de Londres, dont le voisinage est de plus en plus perturbé par des meurtres de jeunes filles étranglées. C'est d'une des filles de cette famille que l'inspecteur Pitt va tomber amoureux : Charlotte, qui n'a pas sa langue dans sa poche et refuse de se plier aux conventions sexistes de la bienséance.

  Le livre ne se contente pas de suivre la progression de l'enquête, mais nous immerge dans la société victorienne et son fonctionnement. Plus qu'un roman policier, il s'agit également d'une étude de moeurs. L'enquête n'est finalement qu'un prétexte pour analyser l'hypocrisie de cette société, et les meurtres sont un élément perturbateur majeur qui va faire tomber les masques de tous les personnages. De révélation en révélation, tout le monde en prend pour son grade, et les événements qui font trembler le voisinage tout entier vont profondément remettre en question les relations délicates entre tous ces personnages et les pousser à s'interroger sur leurs rapports avec les autres et sur ce qu'est l'amour. De doutes en déceptions, ils apprennent à mieux se connaître, à admettre les défauts des uns et des autres, et à vivre avec.

  C'est aussi un livre un peu féministe, qui insiste sur les restrictions imposées aux femmes en matière de bonnes manières, alors que les hommes pouvaient se permettre plus de choses sans courir le risque d'être jugés aussi sévèrement. J'ai envie de vous citer un passage, mais je m'excuse d'avance pour la langue : je l'ai lu en anglais, mais j'espère que ça ne vous empêchera pas d'en profiter.

  Il y a donc pas mal d'engueulades, les personnages féminins se rebiffent à partir du moment où ils réalisent qu'ils se font rouler dans la farine par des hommes qui ne sont pas capables d'appliquer eux-même leurs grands principes, et se cachent derrière des excuses à base de "c'est normal qu'un homme ait envie de baiser tout et n'importe quoi, c'est dans sa nature, il faut l'accepter, mais une femme qui le fait, c'est une pute".

  Les hommes en prennent pour leur grade, je ne vous le cache pas, mais le livre ne s'en tient pas à une description simpliste. Si les personnages masculins les plus importants sont, chacun à leur manière, assez immoraux et irrespectueux envers les femmes, il ne s'agit pas de se contenter de leur taper sur les doigts. Tout en découvrant cela, les femmes du livre (qui ne sont pas parfaites non plus, heureusement) commencent à avoir une image moins étroite, plus englobante de ce qu'est l'humanité et les rapports qu'on les force à avoir avec les autres, mais apprennent aussi que les torts sont partagés. D'un côté, il y a des personnages féminins qui participent assez activement à la perpétuation de ce mode de pensée et de fonctionnement patriarcal et sexiste, et ce sont, au final, les personnages les moins reluisants. De l'autre côté, il y a aussi des explications au pourquoi du comment que ces personnages masculins sont devenus tels qu'ils sont. En clair, ils sont à blâmer pour leur mauvaise conduite, mais ils sont en partie le produit d'une éducation qui les a poussés dans ce sens-là, et leurs torts ne signifient pas pour autant qu'ils sont irrécupérables et irrémédiablement mauvais.

  Au final, ce qui est pointé du doigt, c'est une moralisation à outrance, basée sur des principes trop extrêmes, qui devient si oppressante qu'elle se transforme en lavage de cerveau néfaste produisant toutes sortes de comportements malsains dont tous les personnages sont victimes, d'une façon ou d'une autre.

"What about men ?"

"They are shallow, disloyal and hypocritical !" Sarah said furiously. "They preach one thing and practice quite another. They have one set of rules for us and another for themselves".

"L'étrangleur de Cater street", de Anne Perry (10-18, 2002)

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